Que faut-il savoir sur la justice pour mineurs en Côte d’Ivoire?

 

«Les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale, le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales d’autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci», article 40 alinéa 1 de la convention relative aux droits de l’enfant.


Hello la team, aujourd’hui nous parlons de justice juvénile en Côte d’Ivoire. Selon le code pénal ivoirien en son article 18 alinéa 1, est mineur, toute personne âgée de moins de dix-huit (18) ans lors de la commission de l'infraction. 

Les enfants sont considérés comme des personnes vulnérables, qui méritent que leurs droits soient protégés d’autant plus, lorsqu’ils ont commis une infraction et sont exposés aux divers maillons du système judiciaire. C’est justement ce que pense  Louis François sosthène de la Rochefoucauld lorsqu’il affirme dans son livre intitulé le livre des pensées, que : <<l’enfant est une tige fragile qui a besoin d’appui>>. On suppose alors que l’enfant mineur, n’a pas suffisamment la capacité de discernement nécessaire lorsqu’il pose certains actes, et c’est la raison pour laquelle, il  ne peut être traité comme un adulte, encore que la justice juvénile est un système juridique spécifiquement conçu pour traiter les infractions commises par des mineurs et vise avant tout, à réhabiliter et à réintégrer les jeunes délinquants dans la société plutôt que de les punir.


 En Côte d’Ivoire, il faut savoir que la législation notamment la loi n° 2019-574 du 26 juin 2019 instituant le code pénal ne traite pas tous les mineurs sur un même pied d’égalité. En effet, le législateur fixe l’âge de la minorité pénale et énonce avec précision les différents seuils d’âge à partir desquels le mineur doit ou non répondre de ses actes délictueux. L’article 113 précise que le mineur de moins de 10 ans ne peut engager sa responsabilité pénale peu importe la gravité de l’acte car l’on estime qu’il n’est pas suffisamment mature pour comprendre la teneur ou la portée de ses actes. Contrairement à cette catégorie de mineurs, ceux qui ont atteints l’âge de 10 ans mais qui n’ont pas encore 13 ans révolus, bénéficient de  l’excuse absolutoire de minorité, ce qui veut dire qu’en cas de culpabilité avérée, Ils ne peuvent faire l'objet, que des mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation prévues par la loi. Quant au mineur de 13 ans révolus n’ayant pas encore 18 ans révolus, il bénéficie de l’excuse atténuante de minorité, qui ramène à la moitié de la peine prévue pour l’infraction commise. 


Le procureur de la république a la charge de la poursuite des infractions commises par le mineur. Il peut cependant après avoir entendu la victime et sous reconnaissance des actes délictueux par le mineur, décider de classer l’affaire sans suite tout en obligeant le mineur délinquant, à s’acquitter de certaines obligations à savoir: 


1°) s'abstenir de fréquenter certains lieux ou certaines personnes ;


2°) suivre une scolarité ou un apprentissage professionnel ;


3°) procéder à la réparation du dommage causé à la victime ;


4°) participer à une tentative de réconciliation avec la victime.


Le procureur de la République confie le suivi de ces obligations à un éducateur de la protection judiciaire de l'enfance et de la jeunesse ou à toute personne habilitée qui lui fera rapport au terme du délai fixé (article 788 du code de procédure pénale).

Lorsque les obligations mises à la charge du mineur dans le cadre de cette mesure sont remplies dans le délai prescrit, le procureur de la République classe la procédure sans suite.


Le mineur de dix-huit (18) ans auquel est imputée une infraction n'est pas déféré aux juridictions pénales de droit commun et n'est justiciable que du juge des enfants des tribunaux pour enfants ou du tribunal criminel pour mineurs (article 794 du code de procédure pénale.) 



 La justice juvénile protège non  seulement les enfants auteurs d’infractions, mais aussi ceux qui sont en danger et qui ont besoin d’intervention judiciaire pour leur protection, les mineurs témoins ou victimes d’infractions. À cet effet, l’article 784 du code de procédure pénale prévoit que  lorsqu’un  enfant a été victime de violences ou d'agressions sexuelles, le procureur de la République peut intervenir pour protéger l'enfant. Après avoir écouté ou contacté les parents de l'enfant, le procureur peut demander au juge des tutelles de nommer un tuteur ad hoc. Ce tuteur est une personne désignée pour représenter et défendre les intérêts de l'enfant tout au long de la procédure judiciaire. Le tuteur ad hoc a également le pouvoir de porter plainte au nom de l'enfant en se constituant en partie civile. 


Afin de mieux encadrer les enfants dits en conflit avec la loi, un centre d’observation des mineurs est mis sur pied pour les accueillir. C’est ainsi que le 26 octobre 2023, le centre d’observation des mineurs de Bingerville a ouvert ses portes. Ce pas en avant n’a été possible qu’après de multiples recommandations relativement à la délocalisation du centre d’observation des mineurs de la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA).



 Mais malgré cette législation mise en place, la justice des mineurs en Côte d'Ivoire fonctionne encore trop souvent de manière arbitraire. En effet, selon un article publié par le site web Koaci.com le 17 juin 2023, Le Centre d'observation des mineurs (COM) dénonce la détention de mineurs sans jugement à la prison de Man dans la région du Tonpki, à l’ouest de la Côte d’Ivoire. Le directeur du Centre, Béblaï Jean Pohair, a signalé que 13 mineurs, détenus depuis 2016, 2017 et 2018, n'ont toujours pas été jugés malgré les démarches auprès des autorités. Il note que, contrairement aux majeurs qui sont jugés et libérés en deux à trois ans, la situation des mineurs reste bloquée. Ces enfants, arrivés très jeunes au centre en 2019, sont toujours en attente de jugement.


Cette situation des plus intolérables doit changer et il revient au gouvernement, de veiller à la bonne application des procédures en matière de justice juvénile dont l'acquisition de savoir-faire des acteurs de la justice, l'amélioration du fonctionnement des tribunaux, le renforcement de l'accès à la justice pour les mineurs et leurs familles, l'amélioration des conditions de détention dans les établissements ivoiriens,l'amélioration du traitement des enfants en conflit avec la loi.



 En résumé, même si la loi ivoirienne sur la justice juvénile vise à préserver les droits des mineurs et à les aider à se réinventer, des obstacles demeurent, notamment en ce qui concerne la détention prolongée sans jugement. L'application des lois et l'amélioration des conditions de détention et de traitement des mineurs sont des éléments essentiels pour assurer une justice juste et respectueuse des droits de l'enfant.




Référencements 


- Loi n•2019-574 du 26 juin 2019 portant code pénal 

- Loi n•2022-192 du 11 mars 2022 portant Code de procédure pénale 

- Rapport du bureau international catholique de l’enfance (BICE) 



                    Corinne THIO

juriste privatiste, activiste, blogueuse. 






Commentaires

  1. Beau développement 🔥

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  2. Jordan Christian29 juin 2024 à 09:26

    Votre analyse de la justice juvénile en Côte d'Ivoire met en lumière des aspects cruciaux du système. La reconnaissance des droits des enfants et l'accent mis sur la réhabilitation sont essentiels pour leur développement. Cependant, les défis, tels que la détention prolongée sans jugement, montrent qu'il reste du travail à faire pour garantir une justice équitable et humaine. Une application rigoureuse des lois et une amélioration des conditions de détention sont nécessaires pour mieux protéger les mineurs. C’est un sujet vital qui mérite une attention continue et des actions concrètes pour améliorer le système.

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    1. Auteure du blog29 juin 2024 à 09:35

      En effet, les défis en la matière ne résident pas en la législation visant à l’encadrer, mais plutôt à l’applicabilité des lois.
      Merci à vous pour votre commentaire!

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  3. En plein dans le mil (comme toujours) 👏🏿

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  4. Certainement que l'emphase mise par de tels articles sur la nécessité d'atteindre, au delà de la simple législation, l'application de ces loi, — surtout sur une branche aussi sensible de personnes que sont les mineurs — et les actions qu'ils suscitent chez le lecteur, finiront par apporter des réformes concrètes. Merciiii. Toujours un régal

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    1. Auteure du blog29 juin 2024 à 22:51

      Toujours un plaisir de vous édifier à travers mes articles. Je pense que c’est à force d’efforts qu’on pourra ensemble, atteindre cet idéal que nous recherchons.

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  5. Excellent contenu ! L'épineuse question de la justice juvénile mériterait bien que l'on y accorde encore plus d'attention. Merci du partage.

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  6. Merci,clair et limpide👍😊

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